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Chapitre 13 Abû tharr et mu`âwiyeh

Chapitre 13

Abû tharr et mu`âwiyeh

Les historiens affirment que `Othmân, excédé par le cri de la vérité d'Abû Tharr l'avait soumis à toutes sortes de répressions afin de le museler. La répression touchait également ceux qui osaient écouter, fréquenter et rencontrer Abû Tharr. Condamné à se taire, Abû Tharr ne pouvait toutefois garder le silence, chaque fois qu'il constatait qu'une Loi islamique ou une Tradition du Prophète était violée. N'ayant pas trouvé le moyen adéquat de réduire au silence un grand Compagnon qui ne faisait que dénoncer à haute voix, comme le Prophète le lui avait recommandé, les déviations et les contre-vérités, il se résolut à l'éloigner de la capitale de l'Islam, et à le proscrire en Syrie dont le gouverneur tout-puissant était Mu`âwiyeh. Il pensa que ce dernier serait en mesure de le paralyser.

Abû Tharr fut donc contraint de quitter sa terre et sa maison et de partir avec sa famille pour la Syrie. Cet exil confirma en fait la prédiction que le Saint prophète lui avait faite lors de l'une de leurs innombrables conversations. D'autre part en lui faisant cette prédication le Saint Prophète l'avait exhorté d'accepter avec patience et résignation son exil. C'est ce qu'il fit ("Al-Ghadîr" d'al-`Allâmah al-Amînî, Vol. 8, p. 302).

Abû Tharr qui avait déjà été dégoûté des écarts de `Othmân des principes du gouvernement islamique, fut abasourdi lorsqu'il vit la conduite de Mu`âwiyeh qui ruinait carrément les Commandements de l'Islam. Il ne pouvait pas imaginer que tout l'appareil administratif était hors- la-loi. Il finit par penser qu'à cause du style de vie de Mu`âwiyeh, l'Islam tel qu'il avait été présenté par le Saint Prophète, non seulement était dévié, mais sur le point d'être éteint. ہ la vue de tous ces dangers qui menaçaient l'intégrité de l'Islam, Abû Tharr fut profondément choqué, et sentit la colère et la révolte l'appeler à réagir. Sa sincérité et sa franchise le conduisirent à pousser le cri de la vérité, comme il l'avait fait le jour de sa conversion à l'Islam, dans le fief des polythéistes, sans se soucier de tous les dangers qu'il courait, et en risquant sa vie. De nature très courageuse, il n'hésita pas un instant à dire la vérité à haute voix. Ainsi, tout en sachant que Mu`âwiyeh gouvernait la Syrie comme un monarque, il s'appliqua à s'acquitter de son devoir islamique de commander le bien et d'interdire le mal en prévenant Mu`âwiyeh de ses actes contraires à l'Islam, et en lui faisant remarquer franchement que sa façon de vivre et de gouverner était aussi contraire à l'Islam que celle de `Othmân Ibn `Affân.
 

Selon al-`Allâmah al-Subaytî, le bannissement d'Abû Tharr en Syrie est la preuve que `Othmân voulait détourner l'attitude critique de son détracteur à son égard, vers Mu`âwiyeh.

Selon l'historien al-Balâtharî, al-`Allâmah al-Subaytî, al-`Allâmah al-Majlicî, al-`Allâmah al-Amînî, lorsqu'Abû Tharr arriva en Syrie, Mu`âwiyeh était en train de finir la construction de son palace "al-Khidhrah". Des milliers d'ouvriers travaillaient d'arrache-pied pour édifier ce palace. Un jour, alors que Mu`âwiyeh admirait avec fierté son édifice luxueux, Abû Tharr s'approcha de lui et lui dit: «O Mu`âwiyeh! Si ce palace est construit avec l'argent du Trésor Public, c'est un abus de confiance, et s'il est édifié avec ton propre argent, c'est une prodigalité».

Mu`âwiyeh ne répondit pas à Abû Tharr, se contentant de lui tourner le dos. Abû Tharr s'en alla et se dirigea vers le masjid. Une fois arrivé à destination, il s'assit, des gens vinrent le voir et se plaignirent de n'avoir reçu aucune allocation de Mu`âwiyeh depuis un an. Abû Tharr se leva et fit ce discours: «Par Allah! Il y a ces jours-ci des innovations qui n'ont aucun fondement ni dans le Coran ni dans le Hadith. Par Allah, je vois que la vérité est détournée et le faux se renforce. Les gens véridiques sont dépréciés et les pécheurs préférés aux hommes vertueux.

«O aristocrates! O Mu`âwiyeh et ses gouverneurs! Soyez bons envers les pauvres. Que ceux qui amassent l'or et l'argent sans les dépenser dans le Chemin d'Allah sachent que leurs fonds, leurs côtés et leurs dos seront stigmatisés par le feu.

»O détenteurs de la richesse! Ne savez-vous pas que lorsqu'un homme meurt, il n'apportera rien avec lui. Seules trois choses lui seront utiles: la charité, la connaissance utile et un fils vertueux qui priera pour lui».

Les gens écoutèrent attentivement son discours. Les pauvres et les opprimés se rassemblèrent autour de lui et les gens riches commencèrent à avoir peur de lui. Lorsque Habîb Ibn Muslimah al-Fahrî vit la foule entourant Abû Tharr, il dit: «C'est une grande nuisance». Aussi accourut-il chez Mu`âwiyeh et lui dit: «O Mu`âwiyeh! Abû Tharr ne tardera pas à ruiner totalement l'administration syrienne. Si tu as besoin des Syriens, tu dois étouffer cette nuisance dans l'oeuf».

Mu`âwiyeh se mit à penser en lui-même: «Dois-je le traiter avec sévérité ou avec indulgence? Le feu sera attisé encore plus. Si j'emploie la sévérité! Ne devrais-je pas, plutôt, me plaindre de lui auprès de `Othmân? Mais `Othmân va dire peut-être que je ne suis même pas capable de corriger un seul de mes sujets. Donc, la seule chose qui reste à faire, c'est de l'éloigner de la Syrie».

Abû Tharr avait l'habitude de réciter sur un ton d'exhortation le verset coranique: «Annonce un châtiment douloureux à ceux qui thésaurisent l'or et l'argent sans rien dépenser dans le Chemin d'Allah»(44), devenu son slogan favori depuis que la thésaurisation et l'accumulation de la richesse entre les mains des proches de `Othmân prirent la forme d'un trait marquant du gouvernement de ce dernier. Il récitait ce verset qui visait Mu`âwiyeh en personne dans les rues et les routes de la Syrie. Lorsqu'il le récitait, les pauvres et les nécessiteux se rassemblaient autour de lui, et se mettaient souvent à se plaindre de l'hédonisme des riches gouvernants, qui contrastait avec leur misère et leur pauvreté. Mu`âwiyeh s'informait régulièrement sur les discours d'Abû Tharr et leur teneur. Excédé par la persistance de son détracteur à dénoncer publiquement ses pratiques, il finit par lui imposer des restrictions sévères, le persécuter et lui rendre la vie difficile. Ces mesures oppressives n'ayant pas découragé Abû Tharr, Mu`âwiyeh le menaça de mort.

A cette menace de mort, Abû Tharr répliqua: «Les `Omayyades me menace de pauvreté et de mort. Qu'ils sachent que la pauvreté m'est préférable à la richesse et que j'aime mieux être sous la terre que sur la terre. Je ne saurais être intimidé ni par la menace de mort ni par la mort elle-même».

Al-`Allâmah al-Majlici, citant Cheikh al-Mufîd, écrit que les Syriens dirent à propos des célèbres discours d'Abû Tharr: «Lorsque `Othmân avait exilé Abû Tharr de Médine et l'avait envoyé en Syrie, ce dernier a élu résidence parmi nous, et il ne tarda pas à prononcer une série de discours qui nous ont beaucoup remués. Il avait l'habitude de commencer ses prêches par des louanges faites à Allah et au Prophète, pour dire ensuite:

«L'amour de la Famille du Prophète est obligatoire. Celui qui n'a pas d'amour pour elle ne pourra même pas sentir le parfum du Paradis. O gens! Ecoutez-moi! J'avais l'habitude d'honorer mes engagements avant d'embrasser l'Islam, pendant l'Epoque préislamique, avant la révélation du Coran et avant la nomination du Prophète. Je disais toujours la vérité, traitais mes voisins avec amabilité, considérais l'hospitalité comme un devoir, étais généreux avec les pauvres avec lesquels je partageais mes gains. Lorsque par la suite Allah a révélé Son Livre et nommé Son Prophète, je me suis enquis de cet avènement, et j'ai découvert que les mêmes usages et coutumes qui avaient été les nôtres, se trouvaient également dans les exhortations du Prophète. O gens! Il est dans l'intérêt des Musulmans de se doter de bonnes moeurs. Il est vrai que les Musulmans s'étaient conformés aux préceptes de l'Islam, mais cette attitude positive n'a duré que peu de temps. Car les tyrans n'ont pas tardé à se livrer à des agissements tellement condamnables que nous n'avions jamais connus avant. Ces gens ont détruit les Traditions du Prophète, introduit des innovations étrangères à l'Islam, contredit tous ceux qui disaient la vérité, rejoint les méchants et abandonné l'élite pieuse et méritante.

»O Allah! Arrache mon âme si Tu as pour moi quelque chose de mieux que ce qu'il y a dans ce monde, avant que je ne déforme Ta Religion ou que je ne modifie les Traditions de Ton Prophète.

»O gens! Attachez-vous à l'adoration d'Allah et renoncez aux péchés». Puis il a décrit les mérites d'Ahl-ul-Bayt, tels qu'il les avait entendus de la bouche du Prophète et il a appelé les Syriens à rester fidèles aux Membres Elus de la Famille du Prophète.

Les Syriens dirent qu'ils écoutaient attentivement les discours d'Abû Tharr et que la foule se rassemblait toujours autour de lui lorsqu'il prononçait ses sermons, et ce jusqu'à ce que Mu`âwiyeh alertât `Othmân de ce qui se passait. Ce dernier n'avait d'autre choix, par conséquent, que ramener Abû Tharr à Médine.

Selon les historiens et les "traditionnistes"(45), pour acheter le silence d'Abû Tharr, avant de décider de faire appel à `Othmân, Mu`âwiyeh lui avait envoyé par un émissaire spécial un sac de trois cents dinars or. En voyant tout cet argent, il dit à l'émissaire de Mu`âwiyeh: «Dis à Mu`âwiyeh que je n'ai pas besoin de son argent et retourne-lui le sac.»(46)

Pour comprendre l'attitude d'Abû Tharr envers le pouvoir, il faut toujours se rappeler qu'il était l'incarnation de la fidélité à la mémoire et aux Traditions du prophète. Le Messager d'Allah lui avait dispensé tellement d'enseignements et fait tellement de recommandations qu'il ne supportait pas de voir ces enseignements, ces traditions et ces recommandations foulés aux pieds après la mort du Prophète. De plus, par tempérament Abû Tharr ne pouvait jamais se résigner à se taire lorsqu'il voyait que la vérité était bafouée. Or, depuis le décès du Prophète il assistait à l'éloignement des Ahl-ul-Bayt de la scène politique et du pouvoir, et au mauvais traitement auquel ils étaient soumis, malgré toutes les recommandations du Prophète à leur propos et à propos de leurs mérites inégalables, et de la haute position qu'ils devaient occuper normalement. Il avait au début consenti à se taire tant que les principes généraux de l'Etat islamique n'étaient pas ouvertement et franchement violés. Mais avec l'avènement du Califat de `Othmân, lequel confia les rênes du pouvoir à des gens qui n'étaient pas très imprégnés de l'esprit de l'Islam, et qui se préoccupaient plus de s'emparer du pouvoir et d'amasser la richesse que de se soucier du respect des principes islamiques, il ne pouvait pas se taire plus longtemps. Il se mit tout d'abord à dénoncer avec candeur la thésaurisation, sachant parfaitement à quoi devait servir le Trésor Public, et ayant clairement compris l'objectif du Coran, et ayant pu observer minutieusement le mode de vie du Prophète et des Ahl-ul-Bayt. Lorsqu'il constata que la conduite de ceux qui dirigeaient l'Etat islamique contrastait avec celle du Prophète et des Ahl-ul-Bayt, il ne put plus garder son sang froid, retenir sa langue et empêcher la colère qui bouillonnait depuis longtemps dans son coeur, de s'exprimer par sa langue. Il voyait que les fortunes s'étaient multipliées plusieurs fois et au-delà de tout ce qu'on pouvait imaginer. Il remarquait que le népotisme et le favoritisme avaient atteint leurs extrêmes limites et que les richesses du Trésor Public étaient allouées aux proches, aux amis et aux partisans des gouvernants au lieu d'être distribuées, comme l'Islam le commandait, aux pauvres et aux gens qui les méritaient, sans aucune discrimination. Il s'était donc mis, conformément à l'engagement qu'il avait pris devant le Prophète, de dire et de défendre la vérité, à objecter à la conduite du pouvoir et à critiquer ceux qui étaient responsables de ces innovations contraires aux préceptes de l'Islam. C'est ce qui lui valut d'être déporté en Syrie. Mais là, il fut ahuri en voyant les innovations, la recherche de la pompe, du luxe et de la somptuosité, dépasser même le mode de vie de César et de Khusroe.

Là encore, son engagement devant le Prophète et son sens du devoir religieux le conduisirent à recommencer ses critiques du pouvoir, et à faire ses sermons. Comme à Médine, il commençait en Syrie aussi, ses prêches par la lecture du verset coranique qui dénonce la thésaurisation: «O Prophète! Annonce un châtiment douloureux à ceux qui thésaurisent l'or et l'argent sans rien dépenser dans le chemin d'Allah; Le jour où ces métaux seront portés à incandescence dans le Feu de la Géhenne et qu'ils serviront à marquer leurs fronts, leurs flancs et leurs dos: "Voici ce que vous thésaurisiez; goûtez ce que vous thésaurisiez"». (Sourate al-Tawbah, 9:34)

Les historiens et les rapporteurs de Hadith relatent que lors de l'un de ses discours prononcé devant la foule en Syrie, Abû Tharr dit: «Par Allah! Je vois que la vérité est en train de disparaître, le faux en train de s'épanouir, les gens véridiques en train d'être contredits, et l'égoïsme en train de l'emporter sur la piété».(47)

Et Abû Tharr d'ajouter: «L'or et l'argent seront transformés en flammes qui entoureront ceux qui les gardent enfermés, jusqu'à ce qu'ils les dépensent dans le Chemin d'Allah». Soulignant ce point, il insista: «Des lames chauffées au feu de l'Enfer seront placées sur les poitrines de ceux qui collectent l'or et l'argent, jusqu'à ce qu'elles transpercent leur côtes et leurs omoplates».(48)

Selon l'écrivain égyptien `Abdul-Hamîd, lorsqu'Abû Tharr se rendit par la suite au masjid, les gens se rassemblèrent autour de lui. Il fit alors à leur adresse le discours suivant: «Dépensez ce qu'Allah vous a donné. Assurez-vous que la vie de ce monde ne vous déçoive. Consacrez une partie de vos biens, comme un droit, aux démunis. Car le Prophète a dit que "la soif de l'abondance vous a fait tomber dans l'oubli".

«Le fils d'Adam dit: "Mes biens! Mes biens!" Mais votre bien est ce que vous avez déjà mangé, porté, ou ce que vous avez déjà donné en charité, c'est-à-dire ce qui est déjà porté à votre crédit. Allah a interdit de thésauriser la richesse. Le Prophète a dit: "Malheur, malheur à l'or et à l'argent". Le butin est la propriété (le droit) de tous les Musulmans, mais Mu`âwiyeh le réserve pour ses serviteurs, ses gardes, sa pompe et sa parade. Il a oublié qu'il a droit à deux vêtements seulement du Trésor Public, l'un pour l'hiver, l'autre pour l'été, ainsi qu'à ses dépenses pour le Hajj (le Pèlerinage majeur) et la `Umrah (pèlerinage mineur), et pour sa subsistance et celle de sa famille, calculée sur le niveau de vie du Quraychite moyen. Le butin doit être distribué à tous les Musulmans pauvres. Mais hélas! Aujourd'hui le butin est dépensé pour l'acquisition de grands terrains et la construction de palaces dont la seule décoration coûte des milliers de dinars, alors que les Musulmans pauvres, les vrais ayants droit du butin sont totalement négligés».

Un homme murmura dans l'oreille d'Abû Tharr: «Fais attention! Qu'est-ce que tu dis à propos de Mu`âwiyeh? Ne le crains-tu pas?».

Abû Tharr lui répondit: «Mon ami (le Saint Prophète) m'avait conseillé de dire la vérité, même si elle est très amère, et de ne pas me soucier des reproches de ceux qui ont l'habitude de reprocher tant que je suis sur le droit chemin. Je prie Allah de me protéger contre la lâcheté, la mesquinerie et le châtiment». Et Abû Tharr d'ajouter: «Les gens préparent maintenant une diversité et une multitude de plats, pour chercher par la suite des médicaments qui les aideraient à digérer ce qu'ils mangent, alors que notre Prophète n'a mangé en aucun jour et jusqu'à sa mort deux plats en même temps. Lorsqu'il mangeait des dattes, il ne mangeait pas de pain. Les membres élus de la Famille du Saint Prophète n'ont jamais mangé à satiété, même pas de pain d'orge, pendant trois jours consécutifs, jusqu'à leur mort. Il arrivait parfois que dans la maison du Prophète on n'allumait pas de feu, on ne faisait ni pain ni d'autres plats cuisinés pendant tout un mois».

Un homme demanda: «Qui peut rester vivant sans manger?. Abû Tharr répondit: «Le Saint Prophète mangeait des dattes et buvait de l'eau. Il a dit que personne ne remplit un aussi mauvais récipient que le ventre. Quelques bouchées suffisent pour survivre. S'il faut manger absolument, faites en sorte qu'un tiers du ventre soit réservé à la nourriture, un tiers à l'eau et le troisième tiers à l'air. Le Prophète nous a conseillé de nous abstenir de manger à satiété, car cela conduirait à la paresse, abîme le corps et entraîne des maladies. Soyez modérés dans la consommation des aliments, cela vous éviterait la prodigalité, renforcerait votre corps et vous aiderait à mieux accomplir vos actes d'adoration. Le Prophète n'a jamais stocké ni accumulé de nourriture. Au contraire, il avait l'habitude d'offrir en charité tout ce qu'il obtenait de sorte qu'il ne reste rien pour lui excédant ce qu'il avait besoin de manger, et ce, sans parler du Trésor Public dans lequel il ne laissait rien et donnait tout, y compris sa part légale, dans le chemin d'Allah».

Les aristocrates et les nantis en appelèrent à Mu`âwiyeh et se plaignirent auprès de lui de la mauvaise publicité qu'Abû Tharr faisait contre eux. Mu`âwiyeh convoqua Abû Tharr, et prit la ferme résolution de mettre fin à cette menace qui avait ébranlé la fondation de son gouvernement et frustré ses espoirs.

Abû Tharr se présenta à la cour de Mu`âwiyeh, aussi maigre qu'il l'était toujours. Les signes de détermination et de fermeté étaient manifestes sur le visage rond et fauve de Mu`âwiyeh. Il se leva pour accueillir Abû Tharr et lui fit place à ses côtés, Puis il appela les domestiques pour servir la table. La nappe fut étalée et des plats délicieux qui mettaient l'eau à la bouche furent servis.

Mu`âwiyeh invita Abû Tharr à commencer: «Je t'en prie!» Abû Tharr déclina l'invitation et dit: «Je mange chaque semaine deux kilos d'orges. Telle est mon régime alimentaire depuis l'époque du Saint Prophète. Par Allah, je ne changerai pas ce régime jusqu'à ce que je LE rejoigne». Puis regardant Mu`âwiyeh, il lui dit: «Quant à toi, tu as changé ton alimentation. La nourriture qu'on te prépare maintenant n'est pas la même qu'on te préparait auparavant. Le pain qu'on te fait cuire est fait avec une farine fine, tu as plusieurs plats sur une même nappe, et tu porte une paire de vêtements le matin et une autre le soir. Tu n'étais pas ainsi du vivant du Prophète, où ta condition de vie n'était pas meilleure que celle d'un homme pauvre»(49).

Puis la discussion suivante s'engagea entre les deux hommes:

- Mu`âwiyeh: «Abû Tharr! Mes fonctionnaires se plaignent de toi. Ils disent que tu incites les pauvres contre eux».

- Abû Tharr: «Je les préviens contre la thésaurisation, c'est tout».»

- Mu`âwiyeh: «Pourquoi fais-tu cela?»

- Abû Tharr: «Parce qu'Allah a dit: "Annonce un châtiment douloureux à ceux qui thésaurisent l'or et l'argent, sans rien dépenser dans le Chemin d'Allah"» (Sourate al-Tawbah, 9:34)

- Mu`âwiyeh: «O Abû Tharr! Je t'ordonne de cesser tes méfaits».

- Abû Tharr: « O Mu`âwiyeh! Par Allah, je ne cesserai pas de le faire, avant que la richesse soit distribuée parmi les pauvres».

Depuis lors, Abû Tharr fut persécuté et les ennuis s'abattaient sur lui de tous côtés. Les `Omayyades lui firent souffrir le martyre. Mais il resta inébranlable, n'accusant aucune faiblesse et continuant imperturbablement ses activités de prêche. Au contraire désormais ses attaques contre la déviation devinrent plus virulentes.

Commentant cet épisode de la vie d'Abû Tharr en Syrie, `Abdullâh al-Subaytî, `Abdul-Hamid al-Miçrî et Manazir Ihsân Gîlanî écrivent qu'il poursuivit l'accomplissement de son devoir de prêcher régulièrement pour avertir les nantis du Châtiment douloureux qui les attendrait à cause de leur thésaurisation. Mu`âwiyeh toujours de plus en plus préoccupé des retombées négatives et dangereuses des attaques d'Abû Tharr contre sa politique commença à préparer un plan perfide visant à amener son détracteur à cesser ses diatribes à l'endroit des détenteurs de la fortune.

Ainsi, selon Ibn Athîr, Mu`âwiyeh envoya par l'intermédiaire d'un émissaire spécial mille dinars à Abû Tharr, à la faveur de la nuit.

Abû Tharr prit l'argent et le distribua parmi les pauvres avant l'aube, n'en gardant pour lui même pas un seul sou. Après la prière de l'aube, Mu`âwiyeh appela l'émissaire qui avait remis les mille dinars or à Abû Tharr et lui ordonna de se rendre de nouveau chez ce dernier et de lui dire sur un faux ton d'inquiétude et d'anxiété: «O Abû Tharr! Sauve-moi de la punition qui m'attend de la part de Mu`âwiyeh, car je me suis trompé sur la destination des pièces d'or que je t'ai remises; elles n'étaient pas destinées à toi mais à quelqu'un d'autre. C'était une erreur de ma part».

Le messager de Mu`âwiyeh s'exécuta et répéta à Abû Tharr ce que son maître lui avait demandé de dire. Abû Tharr, imperturbable, lui dit: «O fils! Informe Mu`âwiyeh que l'argent qu'il m'avait envoyé a été distribué parmi les nécessiteux avant le lever du jour. Il ne me reste aucune pièce de cet argent en ce moment. S'il tient à le reprendre, il doit m'accorder un délai de trois jour pour me procurer la somme quelque part».

Lorsque Mu`âwiyeh apprit la réponse d'Abû Tharr, il dit: «Indubitablement, Abû Tharr fait lui-même ce qu'il demande aux autres de faire» ("Ta'rîkh al-Kâmel", Vol. 3, p. 24; "Tafsîr Ibn Kathîr", Partie 10, p. 54)

Après avoir relaté cet incident, `Abdullâh al-Subaytî écrit qu'Abû Tharr était une personnalité d'un caractère très fier. Les `Omayyades firent preuve de myopie, lorsqu'ils essayèrent d'acheter son silence. Selon `Abdul-Hamîd al-Miçrî, après cet incident, «Mu`âwiyeh comprit qu'Abû Tharr avait dit la vérité et qu'il avait distribué effectivement l'argent pendant la nuit. Il manqua donc le but poursuivi de cette manoeuvre. Aussi tenta-t-il de se montrer indulgent envers lui, mais sans que cela ait changé l'attitude d'Abû Tharr. Puis il employa la violence contre lui, mais également, en vain. Enfin il essaya de nouveau de l'acheter avec trois cents dinars, mais sans succès»(50).

Les historiens et les "traditionnistes" affirment que'Abû Tharr était encore en Syrie lorsque Mu`âwiyeh avait dépêché une armée, avec la permission de `Othmân, pour livrer une guerre navale ("Ta'rîKh `Abdul-Fidâ"). Après la fin de la guerre, Mu`âwiyeh convoqua Abû Darda, `Umar Ibn al-`آç, `Ubâdah Ibn Samît et Umm Hithâm qui avaient été des Compagnons du Saint Prophète. Il leur dit: «Je suis fatigué d'admonester Abû Tharr qui ne m'écoute pas. Il me harasse. Vous avez été des Compagnons du Saint Prophète comme lui. Allez le voir et demandez-lui de cesser ses activités et de passer le restant de sa vie dans la paix et la tranquillité. J'en ai assez de lui, les riches du pays aussi».

Ces gens acceptèrent volontiers leur mission de bons offices. Ils se rendirent chez Abû Tharr et lui dirent: «Nous venons de la part de Mu`âwiyeh. Il nous a envoyés chez toi pour te prier de t'abstenir de prêcher et de mener une vie paisible».

Abû Tharr devint furieux en les écoutant, car il pensait que ces gens savaient pertinemment que ces prêches étaient absolument justifiés et que tout ce qu'il faisait était conforme à la Volonté d'Allah, mais malgré cela ils étaient venus intercéder en faveur de Mu`âwiyeh.

Il s'adressa donc tout d'abord à `Ubâdah Ibn Samit et lui dit: «O `Abul-Walîd `Ubadah! Il n'y a pas de doute que tu as la préséance sur moi à tous égards et la supériorité sur moi de toute façon. Tu es plus âgé que moi et étais Compagnon du Prophète pendant longtemps. Tu es un homme sensible, intelligent, bien versé dans les affaires religieuses et tu as une bonne personnalité. Mais je suis désolé de dire que, bien que tu saches tout, tu viens cependant me conseiller sur ordre de Mu`âwiyeh.

»O `Ubâdah! Penses-tu que je ne sais pas ce que je fais? Crois-tu que j'aie perdu le sens du raisonnement? N'est-tu pas au courant de ce qui se passe? ESt-ce que j'ai tort de faire ce que je fais? Mes exhortations ne sont-elles pas conformes aux intentions d'Allah et de Son Prophète? O `Ubadah! Il m'est très pénible de voir quelqu'un d'intelligent comme toi qui connais tout parfaitement, venir me donner de tels conseils. Ecoute-moi! Je déteste fort toute cette délégation, car elle compte parmi elle un homme bien informé comme toi».

Se tournant ensuite vers Abû Darda, il dit: «O Abû Darda! Tu as été honoré de peu d'amour pour le Prophète. Il était certain que si tu avais tardé un peu à reconnaître la Foi, tu aurais été privé de la compagnie du Saint Prophète, car il aurait été déjà décédé. Mais heureusement pour toi, tu as reconnu la Foi et été honoré par la compagnie du Prophète, et considéré comme un bon Compagnon. Cependant, tu n'as pas été en compagnie du Saint Prophète autant que moi, et tu ne peux donc pas comprendre ses objectifs aussi bien que moi. Ayant bien assimilé les objectifs du Prophète, j'agis selon le désir d'Allah et de Son Messager. Tu n'as donc pas le droit de me donner des conseils à cet égard».

Puis s'adressant à `Amr Ibn al-`آç, il lui reprocha sur un ton dur: «O `Amr Ibn al-`آç! Je te connais très bien. Qu'as-tu fait autre que ta participation aux batailles? Certes, tu as été honoré de la compagnie du Saint Prophète, mais tu n'as jamais eu la chance de vivre avec lui. Tu étais toujours loin du Prophète à cause des guerres. Tu ne peux donc ni comprendre ses réelles intentions ni te faire une opinion correcte sur le sens de mon action et de ma conduite. Je sais que tu es sous l'influence de Mu`âwiyeh maintenant, et que tu es venu m'admonester sans réfléchir».

Enfin, il se tourna vers Umm Hizâm et lui dit: «Que dois-je te dire? Tu es une femme. Il ne fait pas de doute que tu avais l'honneur de la compagnie du Prophète. Mais tu restes une femme et tu raisonnes comme telle».

Et Abû Tharr de conclure en s'adressant à toute la délégation: «Allez dire à Mu`âwiyeh d'aviver son esprit, d'agir selon mon conseil et de ne pas troquer sa religion contre la vie de ce monde».

Après l'avoir écouté, les membres de la délégation restèrent muets. Peu après, ils prirent congé d'Abû Tharr et retournèrent chez Mu`âwiyeh. Ils lui dirent qu'ils avaient transmis son message à Abû Tharr. Mu`âwiyeh leur demanda ce qu'ils avaient dit et ce qu'ils avaient reçu comme réponse. `Ubâdah Ibn Samit fit un rapport complet sur tout ce qui s'était passé, avant de conclure: «Je n'ai jamais été en compagnie de quelqu'un qui ait exprimé des reproches aussi vifs et avec autant de franchise»(51).

Pendant qu'Abû Tharr continuait ses prêches, la saison du Pèlerinage arriva. Il sollicita de `Othmân la permission de quitter la Syrie pour accomplir le Hajj et rester pendant quelques jours au Mausolée du Saint Prophète. `Othmân lui fit parvenir l'autorisation demandée, et Abû Tharr partit pour le Pèlerinage. Après avoir accompli les rites de Hajj, il alla à Médine où il resta près du tombeau du Saint Prophète quelques jours avant de retourner en Syrie (relaté par al-Balâtharî).

Après son retour du Hajj, Abû Tharr reprit ses activités de prêche. Alors qu'Abû Tharr continuait à exhorter les riches à dépenser leurs richesses dans le Chemin d'Allah, d'innombrables pétitions rédigées par les nantis affluaient chez Mu`âwiyeh, lui demandant de sceller la bouche d'Abû Tharr. Dans ces pétitions on se plaignait principalement du fait que les gens récitaient dans les rues le verset coranique avertissant les possédants d'être repassés avec leur or et argent chauffés, ce qui leur créait des difficultés lors de leur passage en Syrie. Mu`âwiyeh proclama alors l'interdiction générale d'être en compagnie d'Abû Tharr et de le fréquenter(52).

Lorsqu'Abû tharr apprit sa mise au ban de la société, il commença lui-même à demander aux gens de ne pas venir le voir et de ne pas s'asseoir avec lui, voulant ainsi éviter aux gens la punition sévère prévue à cet effet par le gouvernement. Mais pour pouvoir continuer à prêcher sans exposer son auditoire aux poursuites, il se dirigeait lui-même vers les endroits où des gens sont rassemblés et se mettait à prononcer ses discours.

Selon Ibn Khaldûn, lorsque, après la proclamation du boycottage d'Abû Tharr, un groupe de gens vinrent le voir, il leur demanda lui-même de s'éloigner de lui(53).

Quel courage! Quelle noblesse! Et quel sens du devoir! Alors qu'il ne tolérait pas que ceux qui lui rendaient visite encourent le risque d'être punis, il ne craignait pas qu'il fût puni lui-même, et continua à exprimer ses griefs avec pleine foi et beaucoup de ferveur. Lorsqu'il s'agissait d'oeuvrer sur le Chemin d'Allah, il ne se souciait point de ce qu'il pouvait gagner ou perdre.

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