Ven03292024

mise a jour :Dim, 20 Aoû 2023 9pm

Back Vous êtes ici : Accueil Bibliothèque l'Economie Notre Economie - Chapitre 6 Le Principe De L'intervention De L'etat

Le Principe De L'intervention De L'etat

3- LE PRINCIPE DE L'INTERVENTION DE L'ETAT


L'intervention de l'Etat dans la vie économique est considérée comme l'un des principes importants dans l'Economie islamique, principes qui confèrent à celle-ci la force et la capacité d'assimilation et d'intégration.

L'intervention de l'Etat ne se limite pas à une simple application des statuts fixes de la Charî'ah, mais elle s'étend vers le remplissage de la zone de vide de la législation. En effet, d'une part elle tient à appliquer les éléments fixes de la législation, d'autre part elle adapte les éléments changeants aux circonstances.

Dans le domaine de l'intervention, l'Etat intervient dans la vie économique pour assurer l'application des statuts islamiques qui ont trait à la vie économique des individus. Il empêche par exemple les gens de pratiquer l'intérêt usuraire, ou de contrôler une terre sans mise en valeur, tout comme il entreprend lui-même l'application des statuts qui ont directement trait à lui-même, en réalisant par exemple la sécurité sociale et l'équilibre général dans la vie économique, selon le mode que l'Islam a autorisé à suivre, pour la réalisation de ces principes.

 

Dans le domaine législatif, l'Etat remplit la zone de vide que la législation islamique a laissée à l'Etat afin qu'il la remplisse à la lumière des circonstances évolutives, de façon à garantir les buts généraux de l'Economie islamique et à réaliser l'image islamique de la justice sociale.

Nous avons abordé la zone de vide au début de ces recherches, et nous avons appris qu'il est nécessaire de l'étudier au cours de l'opération de la découverte, car la position active de l'Etat vis-à-vis de cette zone entre dans le cadre de l'image que nous essayons de découvrir, en sa qualité d'élément mobile de l'image qui confère à l'Etat la capacité d'accomplir son message et de poursuivre sa vie sur les plans théorique et de la réalité dans les différentes époques.

Pourquoi a-t-on institué une "zone de vide" ?

L'idée essentielle de cette zone de vide repose sur le fait que l'Islam ne présente pas ses principes législatifs de la vie économique, en tant qu'un remède provisoire ou une organisation circonstancielle que l'Histoire rend désuets après un certain temps au profit d'une autre forme d'organisation, mais il les présente en tant qu'image théorique valable pour toutes les époques. Pour conférer à l'image cette généralité et cette globalité, il était donc nécessaire qu'elle reflète l'évolution des époques dans le cadre d'un élément mobile qui pompe dans l'image la capacité d'adaptation aux différentes circonstances.

Pour comprendre les détails de cette idée, il nous faut déterminer le côté évolutif de la vie économique de l'homme et savoir combien cet aspect affecte l'image législative qui ordonne cette vie.

Il y a dans la vie économique, les rapports de l'homme avec la nature ou avec la richesse que représentent ses modes de production de celle-ci et son contrôle sur elle, ainsi que les relations de l'homme avec son frère, l'homme, rapports que traduisent les droits et les privilèges qu'obtient celui-ci ou celui-là.

La différence entre ces deux sortes de rapports est la suivante : l'homme entretient la première sorte de rapports, et ce qu'il vive au sein d'une communauté ou à l'écart d'elle. Donc, il se lie dans tous les cas avec la nature par des rapports donnés que déterminent son expérience et sa connaissance. Ainsi, il chasse les oiseaux, cultive la terre, extrait le charbon, file la laine, par les méthodes qu'il maîtrise.

De par leur nature, les rapports de cette sorte ne dépendent pas, pour être établis entre l'homme et la nature, de sa présence au sein d'un groupe. Si le groupe affecte ces rapports, c'est dans la mesure où il est de nature à rassembler des expériences et des connaissances nombreuses, à développer le crédit humain en vue de connaître la nature et élargir par voie de conséquence les besoins et les désirs de l'homme.

Quant aux rapports de l'homme avec l'homme, que déterminent les droits, les concessions et les devoirs, ils dépendent de par leur nature de la présence de l'homme au sein d'une communauté. Car si l'homme n'était pas ainsi, il n'accepterait pas d'avoir des droits et des devoirs. Ainsi, le droit de l'homme sur la terre qu'il a mise en valeur, l'interdiction pour lui de gagner de l'argent sans travail, en pratiquant l'intérêt usuraire, l'obligation qui lui est faite de satisfaire les besoins des autres en eau provenant de la source qu'il a découverte, si l'eau de cette source dépasse son besoin, tout ceci constitue des rapports qui n'ont de sens qu'au sein d'un groupe.

L'Islam, tel que nous le concevons, fait la distinction entre ces deux sortes de rapports. Ainsi, il considère que les rapports de l'homme avec la nature ou la richesse évoluent avec le temps suivant les problèmes nouveaux que l'homme rencontre continuellement pendant qu'il exploite la nature, et les diverses solutions qu'il trouve à ces problèmes. Et plus se développent les rapports de l'homme avec la nature, plus celui-ci la maîtrise mieux et renforce ses moyens et ses méthodes.

Quant aux rapports de l'homme avec son semblable, ils ne sont pas évolutifs de nature, car ils traitent de problèmes fixes de par leur essence, quelles que soient les différences dans leur forme et leur apparence. En effet, tout groupe qui met la main sur une richesse à travers ses rapports avec la nature, rencontre le problème de sa distribution et de la détermination des droits des individus et du groupe sur elle, et ce que la production soit chez le groupe au niveau de la vapeur et de l'électricité, ou à celui du moulin à main.

C'est pourquoi l'Islam considère que l'image législative par laquelle il organise ces rapports conformément à ses conceptions de la justice, est durable et immuable sur le plan théorique, car elle traite de problèmes immuables. Ainsi, le principe législatif qui énonce par exemple que "le droit individuel sur les sources naturelles est fondé sur le travail" traite un problème général qui peut prévaloir aussi bien à l'ère de la charrue élémentaire qu'à l'ère de l'instrument complexe, car le mode de distribution des ressources naturelles entre les individus est une question qui se pose pendant les deux ères.

L'Islam s'oppose en cela au marxisme, lequel croit que les rapports de l'homme avec son frère l'homme évoluent suivant l'évolution de ses rapports avec la nature, lie la forme de la distribution au mode de production, et récuse la possibilité de traiter du problème du groupe en dehors du cadre de ses rapports avec la nature, comme nous avons pu le constater et le critiquer dans les chapitres du premier livre de "Notre Economie"(276).

Dès lors, il est naturel que l'Islam présente ses principes théoriques et législatifs comme étant à même d'organiser les rapports de l'homme avec l'homme dans des époques différentes.

Mais cela ne signifie pas qu'il autorise qu'on néglige l'aspect évolutif, à savoir les rapports de l'homme avec la nature, et qu'on exclue du compte l'influence de cet aspect, car l'évolution de la capacité de l'homme à exploiter la nature et le développement de sa maîtrise sur les richesses de cette nature, font évoluer et développent continuellement le danger de l'homme sur le groupe et mettent sans cesse à sa disposition de nouvelles possibilités d'expansion et de menace contre l'image adoptée de la justice sociale.

Par exemple, le principe législatif énonçant que "celui qui travaille une terre et y dépense des efforts jusqu'à ce qu'il la mette en valeur y a un droit prioritairement aux autres", est considéré comme juste aux yeux de l'Islam, car il serait injuste qu'on traite sur un pied d'égalité un travailleur qui a dépensé ses efforts sur la terre et un tiers qui n'y a rien fait. Mais ce principe peut être exploitable avec l'évolution et le développement de la capacité de l'homme à exploiter la nature. Ainsi, à l'époque où la mise en valeur de la terre était fondée sur des méthodes anciennes, l'individu n'avait la possibilité de pratiquer la mise en valeur d'une terre que dans de petites étendues, mais une fois que la capacité de l'homme se fut développée et qu'il obtint les moyens de maîtriser la terre, un petit nombre d'individus a pu saisir l'occasion qui s'offrait à eux pour mettre en valeur des superficies de terre très étendues, en utilisant de grandes machines, ce qui ne manqua pas d'ébranler la justice sociale et les intérêts de la communauté.

C'est pourquoi il était indispensable pour l'image législative de laisser une zone de vide qu'on peut remplir selon les circonstances en autorisant la mise en valeur générale dans la première époque, et en interdisant aux individus -interdiction stricte- dans la seconde époque une mise en valeur au-delà des limites qui concordent avec les buts de l'Economie islamique et ses conceptions de la justice.

Donc c'est pour cette raison que l'Islam a placé une zone de vide dans l'image législative par laquelle il organise la vie économique, afin qu'elle reflète l'élément mobile, suive l'évolution des rapports entre l'homme et la nature, et écarte les dangers qui pourraient résulter de cette évolution croissante à travers les époques.

La "zone de vide" n'est pas une lacune

La zone de vide n'est pas une lacune dans la structure législative, ni une négligence de la Charî'ah de certains événements et faits. Au contraire, elle traduit l'intégralité de l'image et la capacité de la Charî'ah à suivre les différentes époques, car la Charî'ah n'a pas laissé la zone de vide comme l'expression d'une lacune ou d'une négligence, mais elle a déterminé pour cette zone des statuts en assignant à chaque événement son caractère législatif originel, tout en donnant au Tuteur le pouvoir de lui conférer un caractère législatif secondaire, selon les circonstances. Ainsi, la mise en valeur de la terre par un individu, par exemple, est une opération autorisée législativement de par sa nature, mais le Tuteur a le droit de l'interdire si les circonstances l'exigent.

La preuve législative

La preuve que le Tuteur jouit de tels pouvoirs pour remplir la zone de vide est le texte coranique suivant :

«O vous qui croyez ! Obéissez à Allah ! Obéissez au Prophète et à ceux d'entre vous qui détiennent l'autorité.»(277)

Les limites de la zone de vide sur lesquelles peut s'étendre le Tuteur comprennent, selon ce texte, tout acte autorisé de par sa nature. Ainsi, le Tuteur est autorisé à accorder à toute activité ou action dont aucun texte législatif ne prononce ni l'interdiction ni l'obligation, un caractère secondaire, en l'interdisant ou en l'ordonnant. Donc, si l'Imam a interdit de faire un acte autorisé de par sa nature, cet acte devient prohibé ; et s'il ordonne de le faire, il devient obligation. Quant aux actes dont l'interdiction générale est législativement établie, tels que l'intérêt usuraire, par exemple, le Tuteur n'a pas le droit d'ordonner de les faire. De même, l'acte rendu obligatoire par la Charî'ah, tel que les dépenses que le mari doit faire pour son épouse, ne peut pas être interdit par le Tuteur, car l'obéissance au Tuteur est obligatoire uniquement dans les limites où elle ne s'oppose pas à l'obéissance à Allah et à Ses statuts généraux. Ce sont donc les diverses activités naturellement autorisées dans la vie économique, qui forment la zone du vide.

Des exemples

Il y a dans les textes des Traditions de nombreux exemples de l'usage fait par le Tuteur de ses pouvoirs dans les limites de la zone de vide. Ces exemples éclairent la nature de la zone et l'importance de son rôle positif dans l'organisation de la vie économique. C'est pourquoi nous passons en revue quelques-uns de ces exemples en les corroborant par les textes.

a) Selon certains textes, le Prophète (Ç) a interdit que l'on refuse de donner le surplus de l'eau et des herbes qu'on contrôle. En effet, selon l'Imam al-Çâdiq (S) :

«Le Messager d'Allah a décrété à l'intention des Médinois et à propos des plantations de dattiers qu'il ne soit pas interdit le surplus de l'eau et des herbes.»

Cette interdiction est une interdiction de prohibition, comme l'exige selon la norme le terme d'interdiction. Et si nous y ajoutons l'opinion de la majorité des faqîh, selon laquelle l'interdiction faite par un homme aux autres d'utiliser le surplus de l'eau et des herbes qu'il possède n'est pas un des interdits originels dans la Charî'ah, comme la privation de l'épouse de ses pensions, la consommation de l'alcool, etc. nous pouvons conclure que l'interdiction faite par le Prophète (Ç) est faite par lui en sa qualité de Tuteur.

Il s'agit donc là de l'exercice de ses pouvoirs en vue de remplir la zone de vide selon les exigences des circonstances, car la société médinoise avait un besoin urgent de développer sa richesse agricole et animale, ce qui a conduit l'Etat à obliger les sujets à offrir aux autres les excédents de leur eau et de leurs herbes, dans le but de promouvoir les richesses agricoles et animales.

Ainsi, nous remarquons que le don de l'excédent d'eau et d'herbe, qui est un acte naturellement autorisé, l'Etat l'a rendu obligatoire pour réaliser un intérêt nécessaire.

b) On rapporte du Prophète (Ç) qu'il a interdit la vente des fruits avant leur maturité. En effet, lorsqu'on a demandé à l'Imam al-Çâdiq (S) s'il est permis à un homme d'acheter des fruits d'une terre et qu'il s'ensuit que tous les fruits de cette terre périssent, l'Imam a dit :

«On avait fait appel à l'arbitrage du Prophète (Ç) à ce propos, à plusieurs reprises. Lorsque le Messager a remarqué qu'on ne cessait de se disputer à ce sujet, il a interdit que l'on vende les fruits avant leur maturité. En fait, il ne l'avait pas prohibé, mais s'il l'a interdit, c'est pour mettre fin à leurs disputes.»

Selon un autre hadith, le Messager d'Allah (Ç) l'avait autorisé, mais les gens sont tombés en désaccord entre eux. C'est alors que le Prophète a ordonné "qu'on ne vende pas les fruits avant qu'ils ne deviennent mûrs".

Donc, la vente d'un fruit avant sa maturation est un acte naturellement autorisé, et la Charî'ah l'a autorisé d'une façon générale, mais le Prophète (Ç) a interdit cette vente, en sa qualité de Tuteur, afin d'écarter les mauvaises conséquences et les contradictions qui s'ensuivaient.

c) Selon Râfi' ibn Khâdij, cité par al-Tirmithî :

«Le Messager d'Allah (Ç) nous a interdit une chose qui nous était utile, à savoir la vente d'une terre contre une partie de ses produits ou de l'argent liquide (dirham). Il nous a dit :

"Si l'un de vous possède une terre, qu'il en fasse don à son Frère, ou qu'il la cultive."»

Lorsque nous faisons l'addition de l'histoire de cette prohibition et de l'accord des faqîh sur la non-interdiction de la location d'une terre, dans la Charî'ah d'une façon générale, en y ajoutant de nombreux textes rapportés des Compagnons et indiquant l'autorisation de la location de la terre, nous aboutissons à une explication déterminée du texte du hadith rapporté par Râfi' ibn Khâdij, à savoir que l'interdiction a été faite par le Prophète (Ç) en tant que Tuteur, et ne constitue pas un statut légal général.

Ainsi, le Prophète peut, en sa qualité de Tuteur, interdire la location d'une terre, acte qui est considéré comme naturellement autorisé, conformément aux exigences de la situation.

d) Dans la lettre de l'Imam 'Alî (S) à Mâlik al-Achtar, il y a des ordres formels de détermination des prix conformément aux exigences de la justice. Dans cette lettre, l'Imam 'Alî (S), après avoir parlé des commerçants et les avoir recommandés à son Gouverneur, lui dit :

«Sache cependant que beaucoup d'entre eux sont d'une mesquinerie excessive, et d'une avarice sordide, qu'ils accaparent les profits et sont impitoyables en affaires, ce qui peut nuire au petit peuple et discrédite les gouvernants. Interdis donc l'accaparement, car le Messager d'Allah (Ç) l'a interdit. Que les ventes se fassent équitablement, avec des poids justes, et à des prix qui ne lèsent aucune des deux parties, le vendeur et l'acquéreur.»

Il est clair, du point de vue jurisprudentiel, que le vendeur est autorisé à vendre au prix qu'il veut, et que la Charî'ah n'interdit pas d'une façon générale au propriétaire d'une marchandise de vendre celle-ci à un prix exorbitant. Et là, l'Imam a donné l'ordre de fixer les prix et d'interdire aux commerçants de vendre à des prix supérieurs aux prix fixés, et ce en sa qualité de Tuteur. Ce qu'il a fait, c'est usage de ses pouvoirs de remplir la zone de vide selon les exigences de la justice sociale que l'Islam a adoptées.
 



Notes
 


276. Dans l'édition arabe.

277. Sourate al-Nisâ', 4 : 59.
 

Vous n’avez pas le droit de laisser des commentaires