Sam05112024

mise a jour :Dim, 20 Aoû 2023 9pm

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L’Islam et la Modernité par Mortadhâ Motahhary (Partie I)

La question de la Religion et de la modernité est l’un de ces sujets qui ne concernent pas seulement les musulmans. D’autres religions aussi ont eu à faire face à cette question, encore plus que nous. Beaucoup d’intellectuels dans le monde ont renoncé à la religion parce qu’ils ont cru que la religion est incompatible avec la vie moderne. Ils pensent que l’inertie, la stagnation et la rigidité sont des propriétés inhérentes à la religiosité. En d’autres termes, ils estiment que l’inertie, la monotonie et le statu, sont  les caractéristiques de la religion.

Le défunt Nehru, l’ex-Premier Ministre indien, avait des idées laïques et ne croyait à aucune religion. Il ressort de ses déclarations que ce qui le rendait allergique à la religion, c’était d’après lui la rigidité et la monotonie de celle-ci.

Vers la fin de sa vie, il sentait un vide en lui et dans le monde, et a cru que ce vide ne pourrait être rempli que par une force spirituelle. Cependant, il gardait encore son aversion pour la religion, car il pensait toujours qu’un état de rigidité et de monotonie prévaut dans toutes les religions.

Un journaliste indien, M. Karanjia, avait interviewé Nehru vers la fin de sa vie ; c’était apparemment la dernière interview au cours de laquelle le dirigeant indien a exprimé ses points de vue sur les problèmes généraux du monde. Évoquant Gandhi, le journaliste lui dit : « Certains esprits libéraux et progressistes croient que Gandhi a infléchi et modéré, par ses solutions émotionnelles et ses moyens moraux et spirituels, votre croyance originelle au socialisme scientifique. »

Nehru a répondu : « C’est bien et même nécessaire de tirer avantage des moyens moraux et spirituels. J’étais toujours d’accord avec Gandhi à cet égard. Je crois qu’il est nécessaire de s’armer de plus en plus de ces moyens, car maintenant plus que jamais nous avons besoin de réponses spirituelles et morales aux questions que pose le vide moral créé par la culture moderne qui se répand. »

Puis le journaliste lui posa des questions sur le marxisme. Nehru admit l’imperfection de cette doctrine, et souligna ses défauts. Il suggéra encore une solution spirituelle aux problèmes du monde. Là, le journaliste saisit l’occasion pour lui dire franchement : « M. Nehru, votre conception actuelle des solutions morales et spirituelles ne vous rend-elle pas différent du Nehru d’hier ? Ce que vous venez de dire laisse penser que le Nehru de la fin de sa vie se met à la recherche de Dieu. »

Nehru répondit : « Oui, j’ai changé. Mon insistance sur les valeurs morales et spirituelles n’est pas fortuite » ; et d’ajouter : « Maintenant, la question qui se pose est comment rehausser la morale et la spiritualité au plus haut niveau. Certes, la religion devrait pouvoir accomplir cette mission, mais malheureusement, elle a pris la forme d’un ritualisme myope et rigide et s’est réduite à des formalités rigides. Seules sa forme extérieure et sa coquille ont survécu, alors que son esprit et sa conception authentiques ont disparu. »


L’Islam et les exigences de l’époque moderne

De toutes les religions, l’Islam est la seule qui s’occupe de tous les aspects de la vie humaine. Ses enseignements ne se limitent pas aux actes d’adoration, à la prière et à une série de conseils moraux. De même qu’il traite des relations de l’homme avec Allah, de même il trace les grandes lignes des relations de l’homme avec l’homme. Il traite sous différentes formes des droits et devoirs individuels aussi. C’est pourquoi la question de savoir si ses enseignements sont applicables ou non aux changements constants des circonstances et à l’évolution des époques est pertinente dans le cas de l’Islam plus que dans celui de n’importe quelle autre religion.

Notons au passage que beaucoup d’intellectuels et d’écrivains non musulmans ont étudié les lois sociales et civiles de l’Islam et conclu qu’elles constituent un corps de lois progressistes. Ils ont rendu un grand hommage à l’Islam en tant que religion vivante et éternelle, et ont reconnu la validité et l’actualité de ses lois à toutes les époques et toutes les circonstances.

Le Dr. Chibli Châmel, un Libanais matérialiste arabe, a traduit pour la première fois « l’Origine des Espèces » de Darwin en arabe avec un commentaire d’un scientifique allemand, Bouchner, en lui donnant le titre de « Arme contre les croyances religieuses ». Bien qu’il soit matérialiste, il n’a éprouvé aucune gêne en affichant son admiration pour l’Islam en tant que religion vivante et applicable à toutes les époques.

Cet homme a écrit dans le second volume de son livre intitulé « Philosophie de l’Évolution », et publié en arabe, un article portant le titre de « Le Coran et la Civilisation » en vue de réfuter les assertions d’un non-musulman qui, ayant travaillé dans les pays musulmans, avait prétendu que l’Islam est responsable du déclin des musulmans.

Chibli Châmel a essayé de démontrer qu’en réalité la cause du déclin des musulmans est leur déviation des enseignements sociaux de l’Islam, et que ceux des Européens qui attaquent l’Islam le font, soit par ignorance, soit dans l’intention de faire douter les peuples orientaux de leurs lois et de leur système afin de les maintenir sous la tutelle de l’Occident.

De nos jours, la question de savoir si l’Islam est compatible avec l’époque moderne devient brûlante. Lorsque nous rencontrons des gens de toutes les catégories sociales, et notamment ceux des classes cultivées, nous remarquons que cette question est posée plus que n’importe quelle autre question.


Objections

Parfois, ces gens donnent une tournure philosophique à leur discussion et disent que puisque tout dans ce monde est sujet à changement et que rien n’est statique ni stationnaire, y compris la société humaine, comment peut-on concevoir qu’un corps de lois demeure immuable à travers les âges ?

Si nous considérons cette question d’un point de vue purement philosophique, la réponse en est simple. Ce sont les choses matérielles du monde qui subissent des changements constants, qui se développent et déclinent, et qui sont sujettes à l’évolution et à la décadence. Quant aux lois universelles, elles ne changent pas. Par exemple, les êtres vivants évoluent conformément à des lois spécifiques, et les scientifiques ont mis en évidence les lois de cette évolution. Il n’y a donc pas de doute que les êtres vivants changent constamment, mais les lois de leur évolution et de leur développement ne sont soumises à aucun changement. En parlant des lois, il faut noter qu’il n’y a pas de différence entre les lois naturelles et les lois positives, car il est possible que celles-ci, qui avaient été conçues et promulguées par l’homme, aient eu pour source la nature elle-même, et qu’elles soient conformes au processus d’évolution des individus et de la société humaine.

En tout cas, les interrogations sur la compatibilité ou l’incompatibilité de l’Islam avec les exigences de l’époque n’ont pas qu’un aspect philosophique et général. La question qui se pose le plus souvent est que, puisque les lois sont promulguées en fonction des besoins de l’homme, et que les besoins sociaux de l’homme sont évolutifs, comment les lois sociales pourraient-elles dès lors être immuables ?

Cette question est pertinente, et la réponse en est que l’un des miracles de l’Islam est justement le fait qu’il a promulgué des lois immuables pour les besoins immuables de l’homme, et des lois souples et élastiques pour ses besoins provisoires et changeants. C’est ce que nous allons expliquer avec plus de détails et dans les limites où notre exposé nous le permet.


Avec quoi le Temps est-il lui-même Compatible ?

Avant de répondre à cette question, nous aimerions attirer l’attention sur deux points :

Le premier point est que la plupart des gens qui parlent de progrès, de développement et de changement dans une situation supposent que tout changement social, surtout si sa source se trouve en Occident, est la conséquence du progrès et du développement. C’est là l’une des idées les plus erronées que la génération actuelle ait entretenues.

Ces gens ont l’impression qu’étant donné que les moyens de la vie changent de jour en jour, et que ceux qui sont imparfaits sont remplacés par de plus perfectionnés, et puisque la science et l’industrie progressent constamment, par conséquent tous les changements dans la vie humaine forment une sorte de progrès et d’avancée, et sont de ce fait les bienvenus. Bien plus, ils pensent que de tels changements sont inévitables et doivent intervenir nécessairement un jour ou l’autre.

En réalité, tous les changements ne sont ni le résultat direct du progrès de la science et de l’industrie, ni inévitables. Car alors que la science progresse, la nature rebelle de l’homme ne reste pas inactive. La science et la raison poussent l’homme vers la perfection, alors que la nature humaine rebelle l’attire vers la perversion et la déviation. Car les désirs naturels de l’homme s’efforcent de se servir de la science pour mieux assouvir la volupté humaine. Ainsi, tout en étant réceptive au progrès et à la perfection, l’époque est tout aussi réceptive à la perversion et à la déviation. Nous devons donc progresser avec l’évolution du temps, mais tout en combattant la corruption. Les réformateurs et les réactionnaires luttent tous les deux contre le temps, à cette différence près que les premiers se battent contre la perversion de l’époque, et que les réactionnaires combattent contre son progrès. Si nous considérons le temps (l’époque) et ses changements comme le critère de tout le bien et de tout le mal, quel est alors le critère de jugement du temps lui-même ? Si tout doit se conformer au temps, à quoi le temps lui-même doit-il se conformer ? Si l’homme doit suivre les bras croisés le temps et ses changements, que restera-t-il alors du rôle constructif et créatif de la volonté humaine ? L’homme est embarqué sur le véhicule du temps, qui est en mouvement. Il ne doit pas oublier ou négliger de guider et de contrôler son véhicule. Autrement, il serait pareil à une personne montée sur un cheval et qui se laisse guider par la volonté du cheval.


Adaptation ou abrogation ?

Le second point qui mérite d’être noté ici est le fait que certains ont résolu le problème de « l’Islam et les exigences de l’époque » d’une façon simpliste. Ils disent que l’Islam est une religion éternelle et peut s’adapter à toute époque. Mais lorsqu’on leur demande comment cette adaptation se fait et quelle est sa méthode, ils répondent que lorsqu’on constatera que l’époque aura changé, on abolira sur-le-champ les anciennes lois pour les remplacer par de nouvelles ! Ils arguent que les lois temporelles de la religion doivent être flexibles et en harmonie avec le progrès de la science et de la connaissance, et l’épanouissement de la culture et de la civilisation. D’après eux, une telle flexibilité et une telle adaptabilité aux exigences de l’époque sont conformes à l’esprit de l’Islam et ne s’opposent nullement à ses enseignements. Ils disent qu’étant donné que les exigences de l’époque sont toujours changeantes, chaque époque commande donc une nouvelle série de lois. En outre, ils affirment que les lois civiles et sociales de l’Islam sont conformes à la vie simple des Arabes du pré-islam, et fondées dans la plupart des cas, sur leurs circonstances et usages. Et comme elles ne sont pas compatibles avec l’époque actuelle, elles devraient être remplacées par des lois modernes.

On doit demander à ces gens : si adaptation signifie aptitude à être abrogé, quelle loi donc n’a-t-elle pas ce type de flexibilité ? Et quelle loi ne s’adapte-t-elle pas à l’esprit de l’époque, dans ce sens ?

Cette interprétation de la flexibilité et de l’applicabilité à toutes époques équivaut exactement au raisonnement de quelqu’un qui dirait que « le livre et la librairie sont le meilleur moyen de jouir de la vie », et qui, lorsqu’il est sommé de s’expliquer sur cet énoncé, répond : « Car on peut vendre les livres à des prix bas, lorsqu’on veut se divertir, et dépenser l’argent ainsi obtenu dans la satisfaction de ses désirs et passions. »

Un écrivain iranien dit que les enseignements de l’Islam sont divisés en trois parties : la première partie consiste en des croyances fondamentales, telles que l’Unité Divine, la Prophétie, la Résurrection, etc. La seconde partie est relative aux actes d’adoration tels que la Prière, le Jeûne, l’ablution, le lavage rituel, le pèlerinage, etc. La troisième partie comprend les lois relatives à la vie des gens.

Selon lui : « Seules les deux premières parties font partie intégrante de la religion et sont à préserver pour toujours. Quant à la troisième partie, elle ne fait pas partie intégrante de la religion, car celle-ci n’est pas concernée par le mode de vie quotidienne des gens. Le Prophète lui-même n’a pas prescrit ces lois comme faisant partie de la religion, car elles ne font pas partie de sa mission prophétique. C’est à peu près par hasard, en sa qualité de chef d’État, qu’il a été amené à promulguer certaines lois régissant la vie des gens. Autrement, la religion n’a rien à voir avec la vie mondaine des gens. »

Il est difficile d’imaginer qu’une personne vivant dans un pays musulman puisse être si ignorante des préceptes de l’Islam !

Le Coran n’a-t-il pas décrit les objectifs des Prophètes ? Ne dit-il pas formellement :

    « Nous avons envoyé nos Messagers avec une preuve claire, et Nous avons fait descendre avec eux le Livre et la Balance afin que les gens établissent la justice. »
(Sourate al-Hadîd, 57 : 25)

En fait, il décrit la justice sociale comme étant le principal but de tous les Prophètes.

Nous disons à des gens comme cet écrivain iranien : vous n’êtes pas obligés de vous conduire conformément aux enseignements du Coran, mais pourquoi commettez-vous un péché encore plus grave en calomniant l’Islam et le Coran ? La plupart de nos malheurs sont dus au fait que nos murs et nos lois ont perdu leur seule source de force, à savoir la religion.

C’est seulement depuis un demi-siècle que nous entendons crier que l’Islam, c’est bon à condition qu’il reste confiné à la pratique de l’adoration et qu’il ne se mêle pas des affaires de la société. Ce cri est venu de l’extérieur des frontières de la nation musulmane, et on l’a fait propager dans tous les pays musulmans.

À vrai dire, ce cri est porteur d’un message à déchiffrer et dont le contenu est le suivant : « L’Islam doit être sauvegardé dans les limites où il constitue un obstacle devant le communisme, mais il doit disparaître dès lors qu’il porterait atteinte aux intérêts de l’Occident. » En d’autres termes, les enseignements islamiques relatifs au culte doivent survivre — d’après les Occidentaux — afin de s’en servir, le cas échéant, contre le communisme en tant que système athée. Quant aux enseignements islamiques sociaux qui constituent la philosophie de la vie des peuples musulmans et qui, lorsqu’ils sont suivis, confèrent à ces peuples une indépendance réelle et une personnalité distincte par rapport aux Occidentaux, indépendance et personnalité qui empêchent l’Occident de les assimiler et de les exploiter, ils doivent être enrayés.

Malheureusement pour les tenants de cette thèse, ils sont tombés dans un certain nombre d’erreurs :

    Tout d’abord, le Coran depuis 1400 ans a éliminé toute velléité de division des enseignements islamiques et la tendance à dire : « Nous croyons à certaines choses (certains des enseignements islamiques) et nous rejetons les autres », et a proclamé les règles de l’Islam comme étant indivisibles.
    Nous croyons ensuite qu’il est temps que les musulmans ne se laissent plus duper par de tels slogans trompeurs. Le sens critique des gens s’est déjà plus ou moins éveillé et ils commencent peu à peu à distinguer les manifestations du progrès scientifique et les forces intellectuelles des manifestations de la corruption et de la perversion, même si elles proviennent de l’Occident.
    Les peuples du monde musulman ont à présent plus que jamais conscience de la valeur des enseignements islamiques et se sont rendus compte qu’il leur suffit de les suivre et de s’y conformer pour mener une vie indépendante. Ils semblent s’y attacher tellement qu’ils n’y renonceront jamais. Les musulmans conscients savent que les désinformations dont font l’objet les lois islamiques ne sont qu’une duperie impérialiste.
    Troisièmement, les tenants de cette thèse doivent savoir que l’Islam est en mesure de faire face à tout système, athée ou non. Son idéal est de conduire la société en tant que philosophie de la vie, et ne veut nullement être confiné à la mosquée et aux autres lieux de culte. L’Islam qu’on veut cantonner aux mosquées laisserait le champ libre non seulement à l’idéologie occidentale, mais également à des idéologies anti-occidentales. La preuve en est le prix élevé que paie l’Occident dans certains pays musulmans marxisants, à cause de son erreur de calcul.

source: al-misbah.org

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